Comprendre et agir face aux changements climatiques : saisir l’interaction, penser la complexité et vivre le pluralisme

Comme toute crise, la crise climatique est révélatrice. Elle entremêle des défis d’une variété et d’une ampleur considérables. Afin de comprendre et de surmonter ces défis, il faudra probablement modifier notre façon de concevoir notre relation au monde et notre humanité.
La perturbation des équilibres que pourrait provoquer l’augmentation en un siècle des températures mondiales de deux à quatre degrés, aura des conséquences impossibles à circonscrire. L’impact sur les territoires et les pratiques de vie se fait d’ores et déjà sentir. Malgré les rapports scientifiques, les conférences internationales et les mises en garde des grands acteurs de la préservation de l’environnement, les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent d’alimenter le dérèglement planétaire1. Le discours politique ou le propos savant bâtis sur le mode de l’alarme et de l’injonction n’ont pas, ou peu, de résultats. Les stratégies d’action publique apparaissent à elles seules incapables de faire face à l’ampleur de l’enjeu.

Photo GRAINE ARA

A ce stade, de nombreuses questions se posent. Pourquoi une telle inertie ? Manquons-nous encore de données suffisamment parlantes ? Faudra-t-il attendre les dérèglements plus graves et les premiers grands déplacements humains pour qu’une action énergique se mette en place ? Ne seront-ils pas accompagnés par des tempêtes d’incompréhension et de peur collective ? Après plus d’une décennie d’alertes, un nombre suffisant de citoyens et de territoires locaux se sentent-ils en capacité et en droit de débattre et d’agir ?

Les enjeux de la crise climatique supposent une compréhension à la fois interdisciplinaire et critique des processus environnementaux et sociaux concernés. Ils impliquent l’articulation de différents niveaux opérationnels et la mise en œuvre de stratégies associant des acteurs très hétérogènes. Ils interrogent sous un angle sociologique, écologique et normatif le lien entre l’individuel et le collectif, entre l’être et l’avoir, entre ceux qui massivement émettent et ceux qui subissent de plein fouet les bouleversements, entre les communautés humaines et le reste des éléments des écosystèmes (Viveret 2005).

Explorer la diversité et la densité des interactions qui nous entourent nous aide à mieux percevoir à la fois ce qu’est la valeur en soi d’un élément semblant insignifiant ainsi que les services qu’il contribue à rendre au reste de l’écosystème. Comprendre les processus propres à cette autre part de nous-même qu’est notre « environnement » à travers un « tissu d’interactions », nous aide enfin à quitter la croyance dans la centralité d’une seule espèce.

Les enjeux de la crise climatique supposent une compréhension à la fois interdisciplinaire et critique des processus environnementaux et sociaux concernés.

Prenons pour exemple la transformation des espaces littoraux en Europe ou en Amérique du Nord durant la seconde moitié du XXème siècle. Depuis le XIXème , les grands pôles urbains n’en finissent plus de concentrer populations et activités. Une partie de ces mégalopoles se situe sur les franges côtières des deux continents. En outre à partir du XXème, la mise en place des congés payés a contribué à l’apparition d’un tourisme de masse. Pour « bien être en congé » durant la période estivale, il faut mettre le cap en voiture individuelle ou en avion sur des zones balnéaires. La pratique provient partiellement de la spécialisation économique globale, tout autant qu’elle l’alimente puisqu’elle contribue à évincer du littoral des activités comme les activités agricoles, en les encourageant ailleurs à l’intensivité. Malgré les normes et dispositifs de préservation ou les innovations accentuant l’emport aérien moyen et l’interconnexion autoroutière des territoires, la pression exercée par l’homme sur les écosystèmes littoraux entraîne leur nette détérioration. D’autant que, primo, la production agricole intensive concourt à la pollution des bassins versants jusqu’à celle de leurs débouchés estuariens et que, secundo, le transport mondial contribue à l’élévation du niveau des océans via l’émission d’un volume de gaz à effet de serre supérieur à la capacité de stockage de notre biosphère. L’une comme l’autre accentue donc la perturbation.
Celle-ci s’accompagne d’un phénomène global de dépendance croissante vis-à-vis des ressources pétrolières. Pour le plus grand nombre, l’usage de ces ressources ne reste économiquement abordable qu’au prix d’un report de l’acquittement de ses coûts environnementaux.

Ce processus résumé ici en quelques mots pousse à la transformation de l’état initial du système jusqu’à un état proche de la rupture. Une approche ouverte de la complexité nous permet d’évaluer autrement nos options d’aménagement territorial, nos choix de société et nos modes de vie.

La complexité de la crise climatique rend pertinentes des stratégies de transformation sociale dépassant l’action isolée d’un acteur censé être référent. La recherche« d’impacts collectifs »2 (Kania & Kramer 2011) vise à conjuguer la puissance des initiatives de terrain avec une approche transformatrice globale, en respectant la diversité constitutive de ceux qui sont susceptibles d’être impliqués, des enjeux qu’ils perçoivent et des situations auxquelles ils font face.

Il nous faut saisir l’interaction, penser la complexité et vivre le pluralisme pour devenir ce que nous avons chacun la capacité d’être : un acteur positif et conscient d’une vaste constellation de changement.

Plus concrètement, ce type de stratégie passe par le développement d’un plan d’actions commun, d’un système d’évaluation partagé, d’actions mutuellement renforçantes, d’une communication permanente et d’une structure de soutien. Celle-ci a pour mission d’aider à coordonner les efforts progressivement convergents et de multiplier l’impact d’acteurs dont les activités peuvent être géographiquement isolées, circonstancielles ou sectorielles (tels que des organisations thématiques ou locales). C’est le cas par exemple du rôle que joue en France et en Europe la coordination Alternatiba. Une stratégie d’« impact collectif » est basée sur le respect de l’autonomie des participants tout en leur offrant des gains collectifs d’apprentissage, de visibilité, d’adaptation aux nouvelles circonstances et de confiance dans la capacité à atteindre des buts élevés.

D’une façon générale, penser les systèmes complexes extirpe de la courte vue fondant des programmes d’action linéaires et avant tout conformes à la répartition des pouvoirs et aux routines existantes, dont l’incapacité à résoudre les problèmes qu’ils ont largement contribués à poser ne cesse d’être constatée. Il nous faut saisir l’interaction, penser la complexité et vivre le pluralisme pour devenir ce que nous avons chacun la capacité d’être : un acteur positif et conscient d’une vaste constellation de changement.


1. Rapports du GIEC de 1990, 1995, 2001, 2007, 2014.

2. Un impact collectif se rapporte à l’engagement d’un groupe d’acteurs issus de différents secteurs à un agenda commun pour résoudre un problème social complexe.

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