"Au-delà d’un projet d’adaptation aux changements climatiques, c’est pleinement un projet éducatif"

Cheffe de projets « cours Oasis » à la Ville de Paris, Raphaëlle Thiollier revient dans cet entretien sur ce projet lancé en 2018 et qui concerne à ce jour 75 écoles.

Crédits : Ville de Paris

Thématique "Normes et risques"

Les articles de ce Dossier n°10 ont été classés sous 3 thématiques : "L’enfant et les apprentissages", "Normes et sécurité", "La concertation".


Présentez-nous les cours Oasis : comment et pourquoi le projet est-il né ?

Crédits : GRAINE ARA

Depuis 2018, les cours de récréation des écoles et collèges parisiens sont progressivement transformées en « oasis ». L'objectif est de créer des espaces rafraîchis, plus agréables à vivre au quotidien et mieux partagés par tous.
Cette initiative est issue de la stratégie de résilience de Paris, adoptée au conseil de Paris en 2017, visant à renforcer la capacité du territoire à faire face aux grands défis climatiques et sociaux du XXIe siècle.
Au-delà d’un projet d’adaptation aux changements climatiques, de transformation des cours pour créer des îlots de fraîcheur, c’est aussi pleinement un projet éducatif. L’idée est bien sûr d’avoir une ville plus agréable, plus facile à vivre pour le futur mais c’est un projet tourné autour du bien-être de l’enfant de façon générale. C’est une réponse à la question « Aujourd’hui et maintenant, quels impacts sociaux voulons-nous avoir ? » L’aménagement de l’espace a beaucoup d’influence sur la façon dont les enfants vont grandir, agir… cet aspect est au cœur du projet.

Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Cette année, nous en sommes à la 5e génération de cours Oasis. Chaque été, nous en créons environ 25, il y a ainsi à ce jour 75 cours transformées.
Nous faisons aussi des reprises des cours aménagées les années précédentes, avec l’enjeu que les équipes se soient le plus possible approprié le lieu.

Comment sont choisies les écoles chaque année ?

Nous croisons de multiples critères : la programmation de travaux dans l’école, la dimension rafraîchissement / îlot de chaleur, s’il y a des contraintes techniques ou pas, s’il y a une volonté de l’équipe ou parfois des parents d’élèves…
L’idée c’est d’avoir aussi une répartition géographique équitable et pour l’instant, nous ne réalisons pas plus de 3 cours rénovées par secteur et par an.
Il y a 760 écoles à Paris, notre objectif est qu’elles soient toutes des cours Oasis. Nous sommes donc à 10% de l’objectif.

Des normes sont à appliquer pour l’aménagement des cours, quelles sont-elles aujourd’hui en France ?

Nous devons respecter les normes européennes et françaises, les principales concernent la hauteur de chute et le coincement de tête et de doigts.
La Ville de Paris a des normes supplémentaires. Tout l’enjeu pour nous est de faire bouger les lignes au bénéfice de l’enfant.
On a eu tendance à rajouter des normes, les adultes, sont très forts pour cela…On a souvent un prisme très négatif de ce qui peut arriver à des enfants. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut minimiser ce qui pourrait arriver ni prendre les précautions de base mais le risque 0 n’existe pas.
Comme ils nous l’ont dit en Belgique, la cour doit être aussi sûre que nécessaire mais pas aussi sûre que possible.

Une des inquiétudes récurrentes que ce soit pour les parents, les équipes éducatives ou les collectivités, c’est la question des risques, des dangers liés aux installations et aux nouvelles pratiques. Quels sont les peurs les plus courantes liées à la rénovation des cours ?

Ce sont les questions de sécurité pour les enfants. Il y a la peur des accidents, des blessures, des chutes, l’inquiétude que les enfants se mettent en danger.
Il y a aussi souvent une peur de l’augmentation des « bêtises » car il n’y a plus la possibilité d’une surveillance à 360°C dans les cours.

Comment faites-vous face à ces peurs ?

La 1ere chose, c’est d’y aller progressivement. La 1ere année, on a testé des revêtements très classiques, sans relief, pas de matières naturelles. Ensuite, ce qui a changé la donne c’est le voyage d’études en Belgique en 2019, avec notamment des directeurs d’école. Cela nous a fait presque gagner 10 ans sur le projet.
Enfin, c’est l’expérience, le recul. Dans les faits, on a plus d’accidents, plus de difficultés dans des cours classiques où on a mis du béton et de l’enrobé drainant. Les enseignants nous disent que dans les cours Oasis, il y a très peu d’accident voire pas. Et c’est logique, on se fait plus mal sur du béton que sur des copeaux. Et puis, dans une cours naturelle, les enfants sont occupés, il y a donc peu de surexcitation « négative » qui crée de l’accident. Dans les cours classiques, souvent les enfants se cognent entre eux ou ont une conduite à risque car ils n’ont pas grand-chose à faire.

Comment accompagnez-vous les équipes ?

Pour les accompagner, il est nécessaire d’amener ces questions de risques dès le lancement du projet. Nous conseillons aussi les équipes notamment par la diffusion de guides. Nous organisons aussi des réunions de sensibilisation des référents scolaires présents dans chaque circonscription. Ce sont eux qui sont en charge de porter les choses, d’être les interlocuteurs des équipes pédagogiques et ils font vivre les outils localement.
Nous comprenons les peurs, et réticences parfois, des équipes éducatives car c’est pour elles une question de responsabilité, de crainte d’être mis en cause en cas d’accident.

Peu à peu, dans une cours Oasis, la posture de l’adulte va changer. Les relations entre les enfants changent, il y a moins de conflits à réguler alors l’adulte est plutôt en position d’accompagnement des enfants, de vigilance mais pas surveillance.

Pourquoi est-il important de dépasser les peurs ?

Nous faisons le rapprochement avec la pédagogie de zone proximale de développement : donner l’espace de prise de risque nécessaire aux enfants pour qu’ils progressent, puis développent leur esprit critique, leur estime d’eux-mêmes…

On sait que laisser les enfants prendre des petits risques, cela engendre sur le long terme pour eux moins d’accidents graves car ils sont plus alertes, développent leur motricité… C’est très délétère de ne pas les exposer aux risques sur du long terme. C’est une chose très importante, on a l’impression que c’est mieux d’être très sécuritaire dans une cours alors que ce n’est pas un service rendu aux enfants, pour leur épanouissement.

Un autre aspect des risques est le rapport à l’hygiène et à ce que certains considèrent plutôt comme « sale » ou salissant : copeaux, sables, feuilles… Que pouvez-vous nous dire à ce sujet en termes d’échanges, d’accompagnement, les réactions des parties prenantes… ?

Il y a un accompagnement par la ville, surtout un accompagnement aux changements des pratiques, sortir de l’idée d’une cours « nickel chrome », on n’est pas au carré avec des surfaces forcément toutes vides. Les cours Oasis sont des espaces plus vivants, et donc plus intéressants.
L’enjeu c’est d’impliquer les équipes et les enfants pour que les espaces soient respectés. Pour cela on donne des responsabilités aux enfants, par exemple remettre les copeaux à leur place… L’idée est de les impliquer dans la gestion de la cours. Cela demande de leur laisser du matériel à disposition
Aux équipes, on leur transmet un guide d’entretien des cours oasis pour qu’elles s’organisent. Toutes les écoles ne le font pas et on a encore une marge d’appropriation de ces outils.

Une évaluation des projets est-elle menée ?

Nous avons récemment évalué la dizaine de cours aménagées dans le cadre du projet Européen (Financement Feder). Dix cours, c’est peu mais les éléments remontés par cette évaluation montrent que nous allons dans le bon sens. La mixité est renforcée, tout comme le bien-être global.



Consultez les interventions de Raphaëlle Thiollier lors :

- de la table-ronde de la journée régionale

- des échanges avec la salle

 

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