Echanges entre les intervenantes et les participant•es de la table-ronde

Suite à la table-ronde, les 6 intervenantes ont répondu aux questions des participant·es de la journée [1] régionale.

Crédits : GRAINE ARA

Les "questions-réponses" ont été classées et rassemblées sous 3 thématiques : "L’enfant et les apprentissages", "Normes et sécurité", "La concertation"

Intervenantes :

  • Claire Grolleau, Fondatrice et Présidente de l’Association Label Vie.
  • Yvette Lathuilière, conseillère pédagogique départementale du Rhône à l’Académie de Lyon.
  • Oriane Leicher-Auchapt, responsable de la démarche « Cours nature » à la Ville de Lyon.
  • Anne Louise Nesme, Formatrice, potière et autrice.
  • Joëlle Quintin, Association Ceux-ci cela et membre du conseil d’administration du GRAINE ARA.
  • Raphaelle Thiollier, cheffe de projets cours Oasis à la Ville de Paris.

La concertation

Comment pérenniser le suivi et l’entretien d’une cour végétalisée lorsque les personnes à l’initiative du projet ou celles qui sont investies changent ?

Yvette Lathuilière : Au niveau des services des collectivités territoriales, il y a une évolution certainement des services intervenants. Au niveau des écoles, ces projets seront inscrits dans le nouveau projet d’école écrit en 2022.
Pour les collèges et lycées, ce n’est pas lié à l’équipe en place et ça doit donc être inscrit dans la durée. Cela passe par le projet d’établissement qui formalise cette dimension-là. On peut donc espérer que cela dure assez longtemps, tout en évoluant bien sûr au fil du temps.

Raphaëlle Thiollier : L’enjeu est aussi de construire des outils pour accompagner, ça rejoint les questions de formalisation. Ce sont des documents qui font consensus et ensuite on peut s’y référer, c’est un « tiers ».
A Paris, on a construit un guide d’entretien qui donne les grandes lignes et essaie de donner la place aux enfants dans tout cela car ils sont souvent très exclus alors qu’ils sont très demandeurs. C’est aussi un formidable moyen pour les impliquer dans la préservation de l’espace, qu’ils aient un rôle à jouer dans sa gestion. Parmi ces documents, il y a aussi les plans de gestion qui permettent de connaitre l’espace en question, les noms des végétaux, la façon dont ils s’entretiennent par exemple. L’idée est de rendre l’écriture de ces documents collective. Cela se travaille dans le temps, ce n’est pas immédiat. Il faut prendre le temps et cela en fait gagner par la suite.  

Claire Grolleau : Nous agissons de deux manières pour que ces projets durent dans le temps. Il y a la formation, c’est-à-dire donner des nouvelles compétences aux personnes. Malheureusement l’éducation à l’environnement ne fait pas partie du socle initial des professionnel.les de la petite enfance. Donc leur donner les moyens de se former, et pas uniquement les responsables des établissements mais aussi les éducateurs, les auxiliaires, tout le monde. On fait en sorte que tous les métiers se forment, c’est très important.
Le 2e levier sur lequel on agit c’est la réglementation. On travaille étroitement avec les services de l’Etat qui définissent les conditions de fonctionnement des structures d’accueil du jeune enfant et des centres de loisirs. On cherche à les convaincre et faire légiférer pour que les prochains décrets de gestion de ces établissements tiennent compte de ce nouveau mode de fonctionnement.
Evidemment, il y a aussi la décision politique qui peut s’inscrire dans le temps et en local. Mais il semble aussi important qu’au national, il y ait des écrits concernant la qualité de l’accueil du jeune enfant pour qu’on tienne compte des conditions de vie avec le reste du vivant.

Oriane Leicher-Auchapt : Prenons l’exemple d’un potager pédagogique : on sait bien qu’il y a un risque d’abandon du projet, avec le temps ou le changement d’équipe. Il faut donc une continuité par la formation des personnels, puisqu’il y a une rotation dans les équipes. Après, comme tout projet, ça peut s’arrêter si les personnes changent, mais ce n’est pas un argument pour ne rien faire. Il faut également formaliser les tâches : qui doit faire quoi ? Que ce soit prévu dans les fiches de poste. C’est la responsabilité de la collectivité. Il faut aller au bout de la démarche et ne pas s’arrêter à la livraison de la nouvelle cour.

Il y a déjà des temps incompressibles dans le quotidien professionnel des enseignants. Comment redéfinir leurs fiches de postes pour porter correctement les projets relatifs à la végétalisation, qui sont bien souvent beaucoup portés sur du temps personnel ?

Yvette Lathuilière : Le temps de projet est intégré dans le programme, ce n’est pas un travail en plus. La pédagogie de projet est une réponse. Le temps d’apprentissage qu’on cible dans ces travaux est complètement intégré au programme. La pédagogie de projet embarque des notions scientifiques, artistiques, mathématiques, linguistiques. On mobilise des différentes disciplines.
Mais vous avez raison, le temps de formation continue possible est très contraint, 18h par an (pour les écoles) : 6h maths, 6h français, 6h autres modules. Cette année, il y a des circonscriptions qui ont inscrit nos modules « Développement durable et environnement » à leur plan de formation. Ensuite, on accompagne les enseignants sur le temps de conseil des maîtres ou sur d’autres temps, éventuellement personnels, mais le moins possible car ce n’est pas normal de prendre sur son temps privé.

Il n’y a pas qu’un enjeu de formation [..]. Il y a surtout un enjeu dans le quotidien scolaire, avec des tâches administratives [..] qui finissent par incomber aux enseignant.es et aux professeurs [..] Il faut entendre qu’il y a une usure au fil des années pour les enseignant.es qui portent ces projets. Est-ce que l’Institution est prête à décharger des heures ou à aménager des temps spécifiques pour les soutenir ?

Yvette Lathuilière : Ce qui fait défaut, c’est la communication. Il existe un comité académique EDD qui est ouvert au collège et en lycée. C’est vrai qu’il faut que l’enseignant aille sur le site du comité académique où il y a des listes de professeurs référents en lycée, en collège. On peut aussi trouver des partenaires… Si un lycée est demandeur, si un enseignant, CPE… cherche de l’aide pour être accompagner sur ces projets, ils vont y trouver des interlocuteurs pour leur répondre. Il faut aussi s’adresser à leur chef établissement, IA-IPR. Il faut qu’on communique mieux au sein de la maison éducation nationale car les ressources existent.

Crédits : Lucille PAULET
Dessin : Lucille PAULET

Les normes et... les risques ?

Les aspects réglementaires et normatifs comme par exemple l’usage de l’eau dans les écoles, peuvent-ils être un frein ?

Raphaëlle Thiollier : Effectivement, c’est une question qui nous est revenue tout de suite lorsqu’on a créé une rivière pédagogique. On a joué sur un flou, l’eau ne peut pas être utilisée en présence de public et on a considéré que les enfants n’étaient pas vraiment un public. On s’est affranchi de certaines choses dans le cadre d’une expérimentation pour laquelle on avait un projet européen… En sachant que l’eau ne stagne pas mais est stockée dans un espace de récupération avec un filtre qui fait qu’elle n’est pas polluée. L’eau alimente ensuite un jardin humide. L’arrivée d’eau est ouverte par un adulte, elle ne coule pas si l’adulte ferme l’arrivée.
Au collège, ce qui est possible c’est de récupérer les eaux de pluies pour les sanitaires, ce n’est pas le cas en maternelles et primaires. En tout cas, on réfléchit à ces questions, au fait que l’eau de pluie n’est pas un déchet et qu’il faut qu’on l’utilise beaucoup mieux, pas seulement la filtrer mais aussi qu’elle soit présente dans la vie des enfants.
A ce jour, on n’a pas eu de souci. On voit bien qu’il y a une balance bénéfice / risque à reconsidérer.

Je pense aussi à la question des hauteurs des installations, est-ce que le cadre réglementaire est plus restrictif que ce que vous avez vu en Belgique par exemple ?

Raphaëlle Thiollier : Oui et non car nous avons les mêmes normes européennes. A la Ville de Paris on se rajoutait aussi des normes et on est en train de déconstruire tout ça. Pour les aires de jeux, il y a deux aspects. Tout d’abord en termes de hauteur de chutes, plus c’est haut plus il faut un sol amortissant et l’autre aspect c’est le coincement de doigts et de têtes.
Mais certains espaces proposés ne sont pas tous considérés comme des aires de jeux (les gradins en bois par exemple). En Belgique, il y a un contrôleur qui identifie les points à contrôler et fait examiner ces aménagements-là puis produit une certification. Ce sont des questions de bon sens, il faut que la cour soit aussi sûre que nécessaire mais pas aussi sûre que possible.

Oriane Leicher-Auchapt : La réglementation impose des sols amortissant mais pas forcément des sols souples. Le sable, le gravier peuvent être considérés comme des sols amortissant. Pour la petite enfance, c’est la PMI qui a un regard, avec des interprétations de la réglementation, d’où le fait que d’une ville à l’autre les aménagements sont différents.

Joëlle Quintin : Il est souvent fait référence à des normes. Sauf que, souvent, les textes réglementaires n’existent pas. S’il n’y en a pas, c’est donc permis. La réglementation des aires de jeux des espaces publics ne s’applique pas aux cours des lieux éducatifs si elles ne sont pas en accès libre. Lorsque le risque est vécu comme un frein important, le mieux est que tous ceux concernés cherchent des solutions collectivement en anticipant le plus possible et en considérant l’équilibre bénéfices/risques. C’est plus difficile après un accident. Ce sont souvent des questions de personnes (de leurs propres freins et de leurs interprétations) et pas toujours de l’ordre de la réglementation pure.

L'enfant et les apprentissages

Une remarque sur la pérennité des installations : le fait qu’elles évoluent n’est-il pas une bonne chose ?

Yvette Lathuilière : Vous pensez à la pérennisation des apprentissages via des objets, des fabrications moi j’y pense par rapport à la biodiversité, cela arrive trop souvent que les enseignants, enfants ne connaissent pas les noms des arbres de la cour de leur école… Vous savez bien que ce que l’on ne nomme pas, n’existe pas. L’arbre de la cour c’est un décor tant qu’on ne connait pas son nom et sa vie au fil des saisons. La pérennité permettra d’avoir un autre rapport avec les arbres, la nature. Cela change le rapport aux vivants et autres. Ce sont des choses à notre portée et pour l’instant on n’y est pas encore.

Raphaëlle Thiollier : La cour est un espace vivant et se transforme. Oui le bois se détériore. Il y a l’aspect scientifique mais il y a aussi le sensible. Il faut que l’enfant soit dans une proximité. C’est aussi l’enjeu central d’avoir confiance dans l’enfant, l’enfant ne cherche pas à se faire mal, il cherche à explorer. Bien sûr qu’il va tomber et donc va apprendre. Avoir une grande confiance en l’enfant et dans la liberté qu’il va s’accorder, c’est important dans les projets.

Oriane Leicher-Auchapt : Un exemple, dans une école où on a aménagé un coin avec des copeaux de bois, les adultes avaient très peur de ces copeaux, que les enfants les mettent dans les toilettes et que cela bouche toute la plomberie. En fait ça se passe bien et on se rend compte que parfois les enfants ont moins d’imagination que les adultes.

Joëlle Quintin : Pérenniser c’est important, une fois qu’on a végétalisé, amené des arbres, enlevé des asphaltes, ce serait dommage de revenir en arrière et il faudrait sanctuariser ça. Cela veut dire former et accompagner les équipes éducatives et d’entretien pour comprendre et utiliser au mieux ces espaces.

Oriane Leicher-Auchapt : On se rend compte que c’est cyclique. Par exemple on a travaillé sur l’aménagement d’une cours en terrasse, et on a retrouvé une photo de cette cour il y a 20 ans avec de la végétation, de l’herbe alors qu’elle était devenue bétonnée. On fait et défait et refait.

Qu’en est-il de l’accessibilité pour les enfants qui ont des problèmes de mobilité ? Comment leur rendre accessible ces espaces naturels avec des sols meubles…

Raphaëlle Thiollier : Il y a encore des progrès à faire. On réfléchit à la circulation et à avoir toujours des accès. On part également du principe que le handicap moteur n’est pas le seul handicap.
Un espace plane et vide est très angoissant pour beaucoup d’enfant, avoir des espaces plus petits va aider. L’enjeu est de répondre à tous les besoins, et pas uniquement à l’enjeu d’accessibilité, même si on en a conscience. Car le bien-être est important pour tous, et va répondre à tout le monde. On essaie d’être en adéquation. On ne peut pas refuser les matériaux naturels au prétexte qu’ils ne sont pas roulants.

Joëlle Quintin : On ne va pas empêcher tous les enfants de marcher sur les sols meubles car certains d’entre eux ne peuvent pas. En revanche, pour ces enfants, là où ils peuvent aller, ce qu’ils peuvent faire… il faut que l’expérience soit très qualitative pour eux. Faire un peu mais bien. Cela s’imagine lors de la co-conception des projets mais aussi ensuite pour s’adapter aux différentes capacités des publics.


Notes :

[1] : Journée régionale « Les enjeux éducatifs de la végétalisation des cours et espaces extérieurs » organisée le 1er octobre 2021 par le GRAINE ARA,.⇒ revenir au contenu de l'article

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