EE, esprit critique et sens de l’engagement

Comment l’EE peut-elle préparer à participer aux affaires publiques et à exercer un rôle politique ? Politique : un mot peu usité par les éducateurs parce que jugé suspect ou pour le moins délicat, voire tabou…Un éducateur se voulant « neutre » et à la recherche d’objectivité peut-il se permettre d’aborder le champ du politique ? Comment peut-il rester en cohérence avec ses exigences éducatives d’émancipation et de développement de l’esprit critique ? Un éducateur à l'environnement est-il encore dans son métier s’il questionne l’économie et le politique ? …

Photo GRAINE ARA

Sans doute est-il nécessaire de distinguer, sans pour autant les séparer, « le » politique de « la » politique.
Dans un précédent article nous affirmions : « L’éducation à l’environnement est aussi une éducation au politique »1. Selon nous, « le » politique concerne, d’une part tout ce qui permet à une société organisée de faire des choix sur les modalités d’exercice du pouvoir, sur la nature de l’Etat, sur les formes de gouvernement, et d’autre part tout ce qui touche aux rapports entre un pouvoir donné et toutes les personnes privées organisées ou non. En conséquence il ne peut échapper à la dynamique de tendre vers un idéal démocratique où les personnes sont à la fois gouvernantes et gouvernées, praticiens et praticiennes de l’agir politique : « la » politique.

Au niveau éducatif, c’est l’« apprendre ensemble à choisir ensemble » et l’« apprendre ensemble à décider ensemble » qui deviennent des préoccupations cruciales, et ce pour tous, partout et tout au long de la vie : c’est donc un profond changement culturel qui est visé.
Dans une première partie nous verrons en quoi l’éducation à l’environnement est légitime à interroger la complexité des interrelations et est en mesure de proposer des démarches éducatives adaptées notamment dans le cadre des questions socialement vives. Puis, nous verrons comment elle peut contribuer à accompagner la compréhension des systèmes décisionnels. Enfin nous aborderons une de ses missions prioritaires pour nous qui est d’éduquer au débat et d’inciter à l’engagement dans l’espace public.

Oser aborder la complexité des « questions socialement vives »

Oser aborder des sujets qui agitent l’opinion publique, voire identifiés comme politiquement incorrects, nous semble essentiel de façon à « intéresser » et à ne pas déposséder les personnes des grandes décisions sur les questions fondamentales de la cité.

La démarche demande cependant une attention toute particulière à l’éducateur.
Une première étape est de permettre à chacun de cerner la thématique afin de bien comprendre de quoi on parle. Ce qui nécessite que l’éducateur soit en mesure :

  • d’introduire une exploration de la thématique ;
  • de permettre l’accès à des informations de qualité et plurielles ;
  • d’autoriser chacun à sortir sans crainte de l’opinion générale.

Une deuxième étape est de créer des espaces de discussion permettant à chacun d’exprimer ses propres questionnements et de se faire son propre avis. L’éducateur sera alors soucieux :

  • de développer une qualité de présence. « Etre présent » se traduisant par des qualités de pleine écoute et d’attention aux personnes ;
  • de développer une attention à tous les détails d’organisation.

La troisième étape, sans doute la plus délicate, est de tenter une mise en forme systémique des controverses2 afin d’articuler les points de vue ce qui demandera à l’éducateur :

  • d’aider chacun à une mise à distance de ses propres idées ;
  • de faire appel à la réflexion puisque, comme le développe magnifiquement Hélène Trocmé-Fabre nous sommes « nés pour apprendre » et « nés pour innover »3;
  • de se débarrasser des raideurs du vrai et du faux, du bien et du mal, pour que chacun puisse sortir du « je suis pour » ou « je suis contre » et prendre en considération les questions ;
  • mais aussi d’accepter cette expérience active dont il ne connaît pas l’issue a priori.

« Permettre à chacun de décrypter et de comprendre comment les décisions se prennent et « qui décide » est un rouage essentiel pour une éducation au politique »

Accompagner la compréhension des systèmes décisionnels

Permettre à chacun de décrypter et de comprendre comment les décisions se prennent et « qui décide » est un rouage essentiel pour une éducation au politique. C’est travailler sur la notion d’intérêt général et de recherche de celui-ci malgré les intérêts contradictoires, ou plutôt grâce à leur compréhension. Les décisions bien que prises officiellement par les instances politiques se prennent à la confluence de trois sphères : celle des instances politiques, celle des experts, celle de la société civile.

 
Pour la sphère de l'expertise la réalité est construite, mesurée, mise en images, en mots, en concepts et aménagée.
Pour la société civile la réalité est perçue, vécue, ressentie...
Pour la sphère politique la réalité est appréciée, interprétée... pour finalement décider.

On a pu souvent constater que les décisions dans le domaine de l’environnement se sont prises avec une confiance absolue dans les experts scientifiques et techniques. Par contre dans le domaine de l’éducation, les recommandations des chercheurs sont bien rarement prises en considération par nos gouvernements (les travaux de la commission pour les lycées, pilotée par Edgar Morin, ont été bien peu suivis d’effets et la réalité est bien loin de ses préconisations4).
Et qu’en est-il de la sphère de la société civile ? Encore une fois nous pensons qu’il s’agit d’une question d’éducation au politique.
Eduquer à la connaissance de ces trois sphères, à leur compréhension, à leurs interrelations, pour éduquer à l'agir pour l'intérêt général est un challenge éducatif dont nous avons à nous saisir.

« L’éducation est un des leviers pour une lecture politique du monde permettant d’agir pour l’intérêt général ».

Eduquer au débat public

Au cœur de notre problématique et dans les différents contextes se situe la recherche de qualité d’une éducation au débat. Ces actions éducatives visent à donner l’envie et les capacités individuelles et collectives de sortir de la résignation, d’avoir un avis et de prendre place au sein des débats et d’oser prendre la parole.

Encore une fois, des vigilances nous semblent essentielles.

  • En construisant le débat en dehors du modèle raison/tort et de tous raisonnements binaires qui laissent chacun dans ses certitudes. C’est au contraire dans les entre-deux que s’ouvrent les possibilités de débat.
  • En exposant comme une réalité que chaque personne volontaire pour débattre arrive dans une posture de tension entre un égoïsme visant à la satisfaction de son bien-être et une recherche du meilleur argument auquel tous sont prêts à adhérer pour le bien commun.
  • En recherchant d’une manière coopérative l’expression d’une volonté commune. Quelle fin nous proposons-nous d’atteindre ensemble ? Sommes-nous manipulés ? La question posée est-elle bien la nôtre ?
  • En se confrontant aux faits et en construisant des savoirs par l’observation. La validité d’une idée dépend de sa confrontation avec les faits et avec les connaissances la concernant.
  • En faisant parler tout le monde, en permettant à chacun d’aller au bout de son argumentation. Si les opinions formulées sont bien concurrentes, elles sont toutes discutables et elles le sont de manière égale.
  • En se mettant en situation de compréhension d’autrui, en adoptant le point de vue de l’autre.
  • En pratiquant le questionnement : questionner toujours, non pas pour trouver rapidement une réponse, mais pour trouver la question qui fait problème.

Cette démarche s’inscrit pleinement dans les exigences d’une éthique de la discussion telle qu’elle a été développée par Jürgen Habermas5, et nous postulons que cette éthique se travaille et s’acquiert.

Des balises éthiques spécifiques à l’éducation amèneront l’éducateur à se questionner :

  • Ne suis-je pas dans une logique de domination et notamment de ces forces qui empêchent de penser ?
  • Ne suis-je pas en train d’amener l’autre à se conformer à mes idées, c’est-à-dire à le manipuler de façon plus ou moins consciente ?

Une fois formé au débat et outillé, la question suivante serait : comment inciter chacun à s’engager réellement dans le débat public ?

Selon nous l’éducation, et plus particulièrement l’Education à l’Environnement, est un des leviers pour une lecture politique du monde permettant d’agir pour l’intérêt général. Bien sûr, des balises éthiques fortes sont nécessaires pour éviter tout prosélytisme et tout endoctrinement.
Pour nous, notre mission d’éducateurs n’est pas de transmettre des messages tout prêts mais plutôt d’ouvrir des portes, de permettre à chacun d’acquérir des arts de faire leur permettant de développer en toute liberté un esprit critique et un sens de l’engagement pour construire le monde à venir. Les questions socialement vives nous offrent un terrain permettant de faire valoir les vertus de l’éducation pour un débat public productif.

 

 

Schéma Ifrée, 2009.


1. « L’éducation à l'environnement est aussi une éducation au politique », Michel Hortolan, Yannick Bruxelle, Revue ERE, regards, recherches, réflexions, volume 7, 2008, pp. 223-232.
2. Le rôle des controverses dans l’éducation au développement durable, Yves Carlot, Actes du colloque « EEDD, informer, former, éduquer », CDRom, 2007.
3. Né pour apprendre, Hélène Trocme-Fabre, Ed. Etre et connaître, 2006.
4. Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Edgard Morin, Paris, Seuil, 2000.
5. De l’éthique de la discussion, Jürgen Habermas, Paris, Ed. du Cerf, 1992

 

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