L’écoformation, dans la lente leçon des choses

Pour écrire cet article, je suis installée dans le jardin familial. La température de l’air est douce. Deux pinsons des arbres ramagent en écho l’un de l’autre. Une brise légère frissonne dans les feuillages des chênes, bouleaux et peupliers qui m’entourent. Une odeur de terre humide traverse l’espace mais c’est à peine si elle s’installe.
Vert, rose, rouge, orangé, blanc, bleu constituent la palette de couleurs du jour. Je pourrais même entrer dans les détails des verts amande, olive, kaki ou bouteille, éveillant alors, en même temps que le nuancier, mes papilles gourmandes.

écoformation

Attentive aux « choses », les mots me sont dictés par le monde alentour. Mes yeux, mes oreilles, mon nez, mon corps tout entier captent les informations envoyées par ce dehors, mon esprit les reconnaît, les arrange en mon dedans dans un système de sens que j’ai appris à organiser en grandissant. Je les reconnais ces odeurs, sons, formes, couleurs et textures, mouvements et matières. Je les reconnais car je les ai rencontrés déjà. J’ai appris à les décrypter, à les interpréter. Je les ai intériorisés, puis assimilés à mon être-au-monde.

Mon identité est aussi faite de ces éléments, extérieurs à moi, mais qui ont fini par fabriquer le système personne que je suis aujourd’hui. J’utilise la première personne du singulier pour être plus concrète, mais nous sommes tous faits, en partie, des éléments du monde non humain dans lequel nous vivons. Nous avons tous cette identité écologique faite des lieux que nous avons habités, que nous habitons, que nous traversons.


C’est ce que veut traduire le terme d’écoformation : être formé par l’oïkos (étymologie du préfixe éco-), cet habitat qui nous contient et nous nourrit. Les uns sont formés par la ville, les autres par la campagne, la montagne ou le littoral. Les uns se sentent protégés dans les petits espaces fermés, les autres respirent mieux dans les vastitudes aux horizons lointains. Les uns se ressourcent aux roulements des vagues sur la grève, les autres au silence des forêts profondes. Lecteurs de cet article, posez-vous cette question de vos lieux de reconnaissance et de ressourcement, de leurs éléments, des bruits que vous y aimez, des sensations et des ambiances que vous recherchez, et vous commencerez à explorer votre écoformation. C’est Jean-Jacques Rousseau, ce philosophe des Lumières, qui, le premier, a nommé la « leçon des choses », dans son livre Emile, ou De l’éducation, leçon des choses qui venait en équilibre avec la leçon des autres (parents, maîtres, pairs, société) et la leçon de soi (notre nature personnelle qui va chercher les informations dont elle a besoin). Il mettait Emile, son élève, dans la forêt, et cette forêt lui enseignait l’orientation et la reconnaissance des êtres qui la peuplaient. Dans les années 1980, Gaston Pineau, professeur en sciences de l’éducation et de la formation, conceptualisa la notion sous l’intitulé "Ecoformation, au sein d’un système tripôlaire d’éducation permanente, en dynamique constructive de l’être avec l’hétéroformation (formé par les autres) et l’autoformation"1.

Depuis, nous explorons ce concept, afin d’en découvrir les rouages dans un intérêt socio-écologique évident. En effet, alors que toutes nos recherches depuis nous montrent la place prépondérante de l’expérience directe avec les milieux et les matières, les paysages et les éléments, dans l’éveil d’une conscience attentive à ce monde non humain, une partie de l’éducation à l’environnement se développe en retrait de ces expériences corporelles.

Qu'a-t-on fait? Qu'a-t-on ressenti ? Qu'est-ce que l'on a aimé, détesté ?

Réduction des sorties scolaires, dispositifs et outils à expérimenter en salles de classe, cdrom et logiciels de découverte de la nature… tous qui remplacent la chose par le mot de la chose, l’organique par l’image de l’organique, le territoire par la carte, le concret par son abstraction. Anesthésie corporelle pour mieux concentrer l’esprit, disent nos maîtres, alors qu’il n’y a pas meilleur apprentissage que de s’immerger au milieu des êtres vivants et non vivants pour les connaître, du moins dans un premier temps. Ensuite, il faut nommer, expliquer, modéliser pour comprendre. Mais les deux temps de l’immersion et de la prise de recul semblent indispensables à une meilleure saisie des phénomènes.
Un autre temps est également nécessaire à l’écoformation : celui de sa prise de conscience. On vit au milieu des choses par habitude, sans se rendre compte vraiment de tout ce qui nous lie à elles. Et l’on pourrait passer sa vie ainsi, inconscient de ces interactions multiples, tantôt formantes mais aussi déformantes parfois. C’est pourquoi une éducation à l’écoformation emmène bien sûr ses participants au milieu des choses, mais prend le temps également de raconter, d’expliciter, de mettre en mot ces expériences écoformatrices.


À force d’expliciter ces expériences, on en arrive à constater que, décidément, nous sommes liés biologiquement et psychologiquement à cet environnement et que peut-être il serait temps de le préserver dans toute sa qualité et sa biodiversité.


1. De l’air, Essai sur l’écoformation, G. Pineau, Paideïa, 1992.

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