L'éducation à l'environnement un pilier de la démocratie environnementale

La question de l'éducation à l’environnement (EE) en droit est au cœur d'un paradoxe qui doit interroger les juristes de l'environnement. D'un côté, les références à l'EE dans des textes de droit de l'environnement ne sont pas rares. De l'autre, ces références sous forme de simples déclarations d'intention dénuées de véritable portée normative entraînent un manque d'intérêt des juristes pour cette question. Cependant, l'EE ne doit pas être analysée de manière isolée, et bien de manière systémique avec l'ensemble du droit de l'environnement et notamment les principes d'information et de participation contribuant à en faire l'un des piliers de la démocratie environnementale. 

Photo GRAINE ARA

Depuis sa naissance, le droit à l'information et à la participation apparaît intrinsèquement lié au droit de l'environnement1. Ainsi, au plan international, la déclaration de Stockholm du 16 juin 1972 affirme la nécessité d'éclairer l'opinion publique et de lui donner le sens de ses responsabilités en ce qui concerne la protection et l'amélioration de l'environnement. Vingt ans plus tard, la déclaration de Rio reconnaîtra «[qu'] au niveau national, chaque individu doit avoir dûment accès aux informations relatives à l'environnement [...] et avoir la possibilité de participer aux processus de prise de décision ».
Cependant, si tout le monde s'accorde sur le rôle central joué par les principes d'information et de participation, il semble que leur présence soit nécessaire mais non suffisante pour créer une « bonne » démocratie environnementale. Pour atteindre cet objectif, eu égard à son interdépendance avec ces deux principes, un développement de l'éducation à l’environnement s'avère de plus en plus indispensable.

Plusieurs constats  

La commission Coppens dans les travaux préparatoires à la Charte de l'environnement avait à l'origine envisagé l'information, la participation et l'éducation à l’environnement sous un même chapitre2. De la même manière, on note une très forte interaction entre l'article 7 de cette Charte de l'environnement, relatif à l'information et la participation et l'article 8 relatif à l'éducation à l’environnement, rédigé comme suit : « l'éducation et la formation doivent contribuer à l'exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte ». L'éducation à l’environnement agit donc comme un soutien à l'information et la participation qui contribuent elles-mêmes au renforcement de l'EE en éclairant son champ d'application. L'article 7 ayant une vocation universelle en visant « toute personne », une lecture croisée entre cet article et l'article 8 privilégie une éducation à l’environnement à destination de tous, et non pas uniquement au cadre scolaire.

Pour permettre à chacun de se positionner sur un sujet en ayant le même niveau d'information, il convient au préalable d'avoir les capacités de décrypter ces informations.

Le droit à l'information garantit au citoyen un droit d'accès à certains documents. Les questions relatives à l'environnement sont souvent complexes car empreintes de préoccupations d'ordre écologique, économique, technique parfois difficiles à saisir pour le profane. Une base de connaissances solides est donc nécessaire au citoyen afin de pouvoir comprendre un document technique. Sans l'EE, le principe d'information se trouve vidé de sa substance puisque pour permettre à chacun de se positionner sur un sujet en ayant le même niveau d'information, il convient au préalable d'avoir les capacités de décrypter ces informations. Pour le dire plus simplement, sans EE chacun aurait les mêmes cartes en mains, mais tous ne comprendraient pas le jeu.


La convention d'Aarhus a bien identifié cet enjeu. En effet, cette convention internationale relative à l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement précise que « chaque partie favorise l'éducation écologique du public et sensibilise celui-ci aux problèmes environnementaux afin notamment qu'il sache comment procéder pour avoir accès à l'information, participer au processus décisionnel et saisir la justice en matière d'environnement ». Cette convention pourrait même permettre une conceptualisation juridique de l'EE. En effet, comme la totalité des dispositions de droit international relatives à l'éducation à l’environnement, celle-ci n'est pas applicable en droit français. Cependant, la convention a constitué un comité d'examen du respect des dispositions de la convention d'Aarhus (le CERDCA) qui permet au « public » de pouvoir lui adresser des « communications » concernant le respect (ou le non-respect) par une partie d'une disposition du traité. Cet organe « quasi juridictionnel »3 étant dans l'obligation d'examiner toute les communications, une saisine portant sur le respect par les Etats de la disposition relative à l'EE est dès lors envisageable. Même si la « décision » rendue n'est pas opposable, les conclusions étant mises à la disposition du public, elles permettraient d'éclaircir le champ d'application de l'EE et de définir les contraintes résultant d'une telle disposition (jusqu'à présent aucune communication relative à l'éducation à l’environnement n'a été adressée au CERDCA).

L’éducation à l’environnement s'impose comme une condition de l'efficacité des principes d'information et de participation, pilier manquant pour passer d’une technocratie environnementale à une véritable démocratie environnementale.

Le principe d'information agit donc comme un levier, afin de  permettre au public de participer aux prises de décisions. Ainsi par le prisme de son effet sur le principe d'information, l'éducation à l’environnement joue aussi un rôle majeur au sein du principe de participation. Comme le souligne Bernard Chevassus-au-Louis, il existe une « forte intimité entre éducation [et] participation »4. L’EE est donc un postulat nécessaire pour une « bonne participation » dans les domaines ayant trait à des questions environnementales. Sans EE, seuls les experts peuvent se saisir de toute la mesure des enjeux. Les décisions seront donc prises sur la seule base de leur expertise, souvent discutable par ailleurs5, et le droit à la participation perdrait donc tout son intérêt. Cette nécessité a déjà été abordée. Ainsi, lors de création de conférences de citoyens, les débats relatifs à une problématique environnementale ne pourront commencer que suite à une « formation préparatoire ». De la même manière, la rédaction de résumés non techniques d’une étude d'impact environnemental participe à un processus de vulgarisation des données scientifiques afin que chacun puisse se faire une opinion éclairée. Malheureusement, aujourd'hui l’éducation à l’environnement n’est pas assez standardisée comme précédant les processus de participation. Si certaines associations jouent un rôle d'éducateur en essayant de sensibiliser la population en amont, il serait opportun que les pouvoirs publics au nom du respect du principe de participation organisent des modalités d'éducation afin que les personnes intéressées puissent participer efficacement.

Il existe donc une véritable connexion entre éducation, information et participation. L’éducation à l’environnement s'impose comme une condition de l'efficacité des principes d'information et de participation, pilier manquant pour passer d’une technocratie environnementale à une véritable démocratie environnementale.
Malheureusement, cette nécessité de développer l'éducation à l’environnement dans la sphère juridique est une question qui est très peu abordée aujourd'hui. Et même si les 3e Assises de l'EEDD et la conférence environnementale ont donné en 2013 un nouvel élan à l'éducation à l’environnement, une réflexion partagée entre les acteurs de l'EE et les juristes pourrait permettre d'asseoir cette problématique afin d'ouvrir de nouveaux horizons.


1. Démocratie environnementale et participation des citoyens – Marianne Moliner-Dubost – AJDA 2011
2. Rapport commission Coppens (extrait), RJE 2003, numéro spécial, la Charte constitutionnelle en débat, p. 15
3.  Decaux E., Que manque-t-il aux quasi-juridictions internationales pour dire le droit ?, in Le dialogue des juges. Mélanges en l'honneur de Bruno Genevois, Dalloz, 2008, p. 217
4.  Chevassus-au-Louis B., Quelle éducation du public à l'environnement et à la science? La charte de l'environnement : enjeux scientifique et juridique, AFAS, 2003, p. 49
5. On dénonce régulièrement le manque d'impartialité des experts. Voir à ce titre : Favro K., L’expertise: enjeux et pratiques, ed. Lavoisier/Tec & Doc, coll. « Sciences du risque et du danger », Paris, 2009

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