Demain la faim ?

Alors que l’obésité progresse dans les pays développés, 840 millions de personnes connaissent une sous-alimentation chronique cette année dans les pays dit en voie de développement. Un tiers des habitants de notre planète souffrent de malnutrition, alors que l’agriculture mobilise 50 % de la population mondiale. En 2007, selon la FAO, environ 16 000 enfants dans le monde meurent par jour de maladies liées à la malnutrition. Comment depuis quarante ans, alors que la situation est connue voire dénoncée, avec des progrès scientifiques, techniques et agronomiques, sommes-nous toujours dans la même situation ? « Nourrir les hommes » demeure-t-il un défi civilisationnel, ou l’alimentation est-elle une arme économique ?

Photo GRAINE ARA

Les émeutes de la faim

Dès 1956 paraissait « Géopolitique de la faim » de J. de Castro : « Il ne suffit pas de produire des aliments, il faut encore qu’ils puissent être achetés et consommés par les groupes humains qui en ont besoin». Jusqu'à aujourd’hui des paysans anonymes voire des ruraux invisibles enduraient la faim. Mais dernièrement, les villes étant touchées, la presse a relayée ce qu’elle a appelé les émeutes de la faim. Nous sommes entrés dans un cycle de hausse des matières agricoles poussant au désespoir nombre d’habitants des pays du Sud. En Europe les produits alimentaires augmentent aussi, mais le pain ne pèse pas aussi lourd dans le budget du consommateur moyen que dans les pays pauvres. Face à l’explosion de la demande de viande, à la baisse mondiale des stocks de céréales, à la flambée entretenue des cours, les organisations internationales (FMI, OMC…) s’émeuvent. Ne faut-il pas produire des denrées vivrières accessibles à tous plutôt qu’exporter des aliments gourmands en eau et en engrais, cassant les marché locaux ? Ne faut-il pas revenir à une agriculture qui nourrit encore localement des territoires en utilisant la palette des savoir-faire paysans plutôt que continuer de défendre un modèle productiviste (basé sur l’augmentation des pesticides et le développement des OGM), responsable de la situation actuelle de la faim et de la planète. La réponse est elle de replacer le droit de se nourrir comme une nécessité1 et les paysans comme acteurs de cette transformation sociale2 ?

Catastrophe des agrocarburants

Le pétrole à 150 dollars précipite la ruée vers l’or végétal. L’Europe veut 10% d’agrocarburants dans sa consommation d’ici à 2020. Le président américain rêve de 15% des voitures aux agrocarburants en 2017. Les pays en déficit alimentaire, comme l’Indonésie ou le Sénégal sacrifient des terres arables. «Entre 20 et 50% de la production mondiale de maïs ou de colza sont détournés de leur usage», note le Fond Monétaire International. Le cours du maïs, utilisé pour l’éthanol, a doublé. «Si l’on veut substituer 5% d’agrocarburants à l’essence, il faudra y consacrer 15% de la superficie des terres cultivables européennes», calcule l’Agence Internationale de l’Energie. Cette monoculture pour carburants s’accompagne d’une concentration des terres, bloque les processus de redistribution et les réformes agraires. La quantité de céréales nécessaire pour remplir un réservoir de 4x4 suffirait à nourrir un humain pendant un an…

La spéculation sur les biens de première nécessité

Quand les prix montent, ils ne grimpent pas une échelle aussi abstraite qu’inéluctable. des hommes s’enrichissent sur le malheur des autres. Essorés par le marché des crédits, les fonds d’investissement spéculent sur les matières alimentaires, nouvelles valeurs refuges : soja, blé, maïs. Le cours du riz bondit de 31% en mars. Les fonds achètent, et stockent. Et les petits fermiers du Sud sont laminés par les produits subventionnés exportés par les pays riches (poulet, céréales,…). «Victimes aussi de leur propres gouvernements qui n’ont pas dédié une part de leur budget à la paysannerie», ajoute la FAO. Malgré les promesses, l’aide au développement des pays riches accuse une baisse de 8,4% en 2007 (-15% pour la France). L’aide à l’agriculture des états riches aux pays pauvres est moitié est moins importante qu’en 1984.

Jean Ziegler, rapporteur des Nations unies pour le droit à l’alimentation, explique : «Quand le prix du riz flambe de 52% en deux mois, celui des céréales de 84% en quatre et quand le prix du fret explose, on précipite 2 milliards de personnes sous le seuil de pauvreté. On voit les prémices de guerres de la faim, avec les champs de riz gardés par l’armée en Thaïlande, la bataille pour le pain en Egypte, les morts par balles à Haïti. On va vers une période d’émeutes, des vagues de déstabilisation incontrôlable, marquée au fer rouge du désespoir des populations vulnérables. Avant la flambée des prix déjà, un enfant de moins de dix ans mourait toutes les cinq secondes, 854 millions de personnes étaient gravement sous-alimentées ! C’est une hécatombe annoncée. Les ménages consacrent de 10 à 20% de leur budget dans l’alimentation en Occident, et de 60 à 90% dans les pays les plus pauvres : c’est une question de survie. Quand on lance, aux Etats-Unis, grâce à 6 milliards de subventions, une politique de biocarburant qui draine 138 millions de tonnes de maïs hors du marché alimentaire, on jette les bases d’un crime contre l’humanité.»

Les bouleversements des changements climatiques

L’Organisation Mondiale de la Santé s’alarme des changements climatiques nuisant à la santé et à l’alimentation : «Sécheresse en Australie, au Kazakhstan, inondations en Asie, ouragans en Amérique latine et hiver record en Chine», égrène le Programme Alimentaire Mondial. Tendance irréversible. L’agriculture intensive joue contre l’environnement. AchimSteiner, patron du Programme des Nations Unies pour l’Environnement, assure : «Dans les grands pays, on atteint des limites de disponibilité de terres arables, d’eau, et de réduction de la fertilité des sols.» Reste une marge pour les petits paysans : une agriculture vivrière économe, écologique et durable, relocalisée et solidaire. Nourrir 60 milliards d’animaux à viande chaque année revient à produire autant de céréales que pour 5 milliards d’habitants.  Pachauri, Prix Nobel de la Paix 2007, confie : «Mangeons moins de viande, c’est bon pour le climat ». «Si les Chinois mangeaient autant de viande que les Américains, ils absorberaient 50 % des céréales mondiales», ajoute l’écologiste Lester Brown.

Une crise alimentaire mondiale

Aujourd’hui une trentaine de pays, des millions de pauvres entassés en zones urbaines sont brutalement fragilisés. Pour des centaines de millions de personnes, la nourriture dépasse 75% du revenu. « La hausse des prix a fait reculer de sept ans les objectifs de réduction de la pauvreté » calcule la Banque Mondiale. Les experts soulignent l’annulation immédiate de tous les autres espoirs de meilleure santé, de scolarisation, de réduction des inégalités fille-garçon. Régression générale. Demain, faudra-t-il continuer de transformer les enfants de paysans en ouvriers des villes, ou les transformer sur place en paysans-innovateurs-créateurs ?

L’agriculture biologique facilite la sécurité alimentaire. Les Etats devraient l’intégrer dans leurs priorités, selon la FAO : « L’agriculture biologique n’est plus propre aux pays développés. En 2006, elle est pratiquée dans 120 pays, sur 31 millions d’hectares. En gérant la biodiversité dans le temps (rotation des cultures) et l’espace (cultures associées), les agriculteurs bio utilisent la main-d’œuvre et l’environnement pour des productions durables. Rompant le cercle vicieux de l’endettement pour l’achat d’intrants agricoles, entraînant un taux alarmant de suicides, les cultures de rente liées à des améliorations agroécologiques, procurent des revenus supplémentaires aux paysans pauvres, induisant une meilleure autosuffisance alimentaire et un regain de vitalité pour les petites fermes. »

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