Participation des citoyens : quelques enjeux psychosociaux

La participation s’est progressivement imposée comme le concept à la mode lorsqu’il s’agit de parler d’engagement citoyen, terme tant de fois usité, aussi bien par des institutions que des acteurs sociaux, et avec des objectifs très divers. L’enjeu n’est pas ici d’en délimiter les contours mais plutôt de se pencher sur le vécu des personnes et les enjeux psychosociaux soulevés. Au-delà de la communication engageante, notion psychosociale principalement mobilisée jusqu’ici par les professionnels, dans une utilisation centrée sur les changements comportementaux, le recours à la psychologie sociale peut permettre d’éclairer les trois temps de la participation - l’avant, le pendant et l’après - et d’apporter des pistes pour comprendre les pratiques et expériences des participants. Ce préalable est nécessaire pour penser un changement de comportement, voire de perspectives.

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Avant : attentes et motivations de l’engagement

« Habitants des quartiers », « patients », « jeunes », « consommateurs », « usagers d’un service public », « familles » : les appels à participation, qu’ils proviennent d’associations ou d’institutions, visent majoritairement des publics, des profils de personnes qu’ils souhaitent mobiliser et impliquer davantage. Ces désignations renvoient à des appartenances groupales spécifiques et soulignent les catégorisations sociales majoritairement véhiculées. Mais encore faut-il que les participants potentiels s’y reconnaissent… Comment faire face à la multiplicité des parcours biographiques et des positions ? Une partie des rejets et des choix de non-implication se joue dans cette rencontre entre un profil et l’auto-perception des personnes, ou en tout cas le souhait de ne pas être catégorisé en « tant que ».

On trouve également un autre critère d’explication du choix d’une implication : celui des motivations. Pour quelles raisons s’engager dans cette participation : pour soi, pour ses enfants, pour autrui, pour aujourd’hui ou pour demain, pour un autre monde ou contre un projet ? Plus loin qu’un calcul coûts/bénéfices, on discerne ainsi quatre niveaux de lecture et d’implication qui peuvent être plus ou moins activés en fonction des situations.

Le premier, le plus concret, est celui de l’individu, du quotidien, voire de l’immédiateté.
Le second concerne l’environnement proche et les relations interindividuelles.
Le troisième est le niveau plutôt sociétal, des étiquettes et statuts sociaux.
Tandis que le dernier, le plus abstrait, renvoie à un niveau idéologique.

Ce sont là des continuums qui orientent la perspective avec laquelle un individu va aborder une situation, ce qui pèse fortement dans le processus de décision en amont de la participation.
La participation ou le retrait se situent donc dans cette adéquation entre un individu (ses facteurs internes, externes, ses expériences) et son environnement, qui sont ou non propices à l’engagement en fonction de la proposition de participation.

Pendant : expériences et usages de la participation

Si le champ psychologique, par lequel l’individu va entrer en rapport avec son environnement, est central dans l’explication de ses actes d’engagement, c’est également un facteur qui va permettre le maintien ou non de la participation. En effet, en fonction du champ psychologique qui sera plutôt axé sur le pourquoi ou le comment, le long ou le court terme, les aspects individuels ou plutôt collectifs, l’abstrait ou le concret, le quotidien du collectif va permettre à l’individu de se positionner par rapport à ses motivations initiales, voire de réajuster sa posture. Pour exemple, une personne confrontée à une situation de précarité aura plus de mal à se projeter dans le futur, à élaborer des projets sur le long terme et par conséquent aura un mode et des motivations d’engagement différents.

Maintenir l’engagement est tout aussi difficile que de le déclencher.

Face à ce constat, la question de l’appropriation des espaces de participation est centrale. Comment les personnes se saisissent des lieux d’expression ? On retrouve ainsi dans de nombreux dispositifs participatifs et dans certaines associations des difficultés pour les participants à trouver leur place, à intégrer un groupe déjà constitué et à percevoir le rôle qui leur est attribué et celui qu’ils peuvent tenir au vu de leurs compétences, leurs expériences et leurs perspectives.
En ce sens, maintenir l’engagement est tout aussi difficile que de le déclencher. Face aux possibles lassitudes, au sentiment d’absence de sens ou de pertinence de l’action, il s’agit là encore de fixer une perspective : la participation de qui ? à quoi ? dans quel(s) objectif(s) ?
L’importance de la convivialité dans le groupe, des relations interpersonnelles et des « conséquences collatérales » n’est pas à minorer. Mais l’une des clefs du maintien de l’engagement semble résider du côté de la perception d’une participation effective, d’une action qui pèse sur la situation pour l’amener à changer et donc d’un sentiment de contrôle des individus vis-à-vis de la situation, même s’il est partiel.

Après : conséquences et effets de la participation

Pour les participants, on dénombre de multiples effets, du côté positif avec un renforcement de l’estime de soi, un plaisir pris dans l’engagement et dans la mise en œuvre de valeurs, comme du côté plutôt négatif avec le possible sentiment de lassitude devant des actes d’engagement sans résultats. Cela provoque alors un constat d’inefficacité, le plus souvent attribué à l’extérieur, et potentiellement d’impuissance lorsque les individus se confrontent à une absence de contrôle des évènements et n’arrivent pas à impulser le changement souhaité. L’enjeu est alors pour les participants d’observer les conséquences de leur engagement.

Il y a ainsi une nécessité pour les organisateurs de montrer ce qui est fait des données de la participation et des réactions face à celle-ci. La plupart des dispositifs participatifs ne parviennent pas entièrement à gommer les asymétries de relation.
Celles-ci peuvent s’articuler non seulement au niveau du poids accordé par l’institution à la parole des participants mais également au niveau de l’usage qui en est fait (co-décision, consultation, écoute). L’existence-même des « arènes participatives » pose la question des modalités et finalités de la prise en compte de la parole des usagers, en gardant toujours en tête le risque d’une responsabilisation et/ou d’une légitimation des décisions, sous prétexte de la présence de participants.
Au-delà du premier stade de partage social des expériences, les processus participatifs peuvent alors être considérés comme des lieux de confrontation des savoirs (scientifiques, techniques, politiques, expérientiels), et comme alternatives pour penser l’action, notamment publique, avec les premiers concernés.

Donner aux personnes des perspectives sur lesquelles elles puissent appuyer leur lecture du monde et l’organisation de leurs expériences quotidiennes, c’est permettre les conditions de l’engagement.

En fonction des processus psychiques évoqués et de la diversité des profils des participants, on constate des appels à la participation variés dans leurs formes et leurs objets, mais avec un objectif transversal qui est souvent de faciliter l’engagement des personnes, première étape vers un changement de comportement.

Cependant, ce postulat occulte la diversité des motivations d’engagement, des parcours biographiques et des perspectives des personnes. Cette focalisation laisse de côté une partie de la population, qui ne serait pas forcément en capacité de s’appuyer sur des perspectives qui permettent l’engagement (par rapport aux conditions socio-économiques, à la familiarité du fonctionnement associatif, etc.).
Par ailleurs, cela laisse une marge de manœuvre réduite aux participants. Une manière de contourner le problème serait d’œuvrer à une ouverture des possibles plus importante, de travailler à un changement de perspectives plutôt que de comportements. Donner aux personnes des perspectives sur lesquelles elles puissent appuyer leur lecture du monde et l’organisation de leurs expériences quotidiennes, c’est permettre les conditions de l’engagement, voire son maintien et dans un même mouvement ne pas proposer une « participation fictive » ou superficielle.

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